MAUS
MAUS, oui, d’accord, rien de très nouveau. Une BD traduite
en 18 langues, pour laquelle Art Spiegelman, son auteur, a reçu le prix
Pulitzer en 1992 (merci Wikipedia), ça ne passe quand même pas siii inaperçu
que ça. Bon oui OK mais vous l’aviez lu vous ? Parce que moi non.
Et voilà une entrée en matière aux petits oignons pour justifier le thème de
mon petit papier d’aujourd’hui. (Je ne sais pas pourquoi je me justifie d’ailleurs,
j’ai genre zéro lecteurs, donc…)
Bien, alors autant vous dire que déjà, avec une couverture pareille, on ne passe pas inaperçu dans le TER ligne Strasbourg-Sarreguemines (ah ces voyages en train…), c’est certain. Mais au diable Mme Truckmuschmitt en face de moi dans le train qui regardait d'un air dubitatif la tête-de-chat-croix-grammée ; MAUS m’a glacé et mangé toute crue.
C’est l’histoire d’Artie.
Il est né en 1948, juste après la guerre, de parents juifs, qui ont survécu à
la Shoah. Alors qu’il a tout juste 20 ans, sa maman se suicide. Quelques années
plus tard, il décide de dessiner l’histoire de la vie de ses parents, au rythme
d’entretiens, parfois un peu chaotiques, avec son père, qu’il enregistre tant
bien que mal.
Art Spiegelman dessine des animaux. Des juifs-souris, des
allemands-chats. Des polonais-cochons et des américains-chiens. Et il raconte l’histoire
de son père, une histoire singulière qui fait partie du destin de tant d’autres
personnes. Cette histoire, si dure, si inouïe, a fait dire à certains, après
1945, l’impossibilité de parler, comme Theodor Adorno, qui écrivit « C’est
une barbarie d’écrire le moindre poème après Auschwitz ».
Mais Spiegelman fait partie de la génération d’après, l’héritière douloureuse,
celle qui ne peut pas savoir et cherche à comprendre. Ses animaux lui
permettent de faire quelque chose d’impossible : raconter la Shoah en BD. Rapporter le témoignage de quelqu'un qui a vécu Auschwitz. En noir et blanc, en dessin. Le résultat n’en est pas moins remuant ou moins dur – c’est peut-être même le
contraire…
On est émus et en colère, on souffre, on rit même,
parfois (le personnage du père devenu vieux, irascible et radin, avec son drôle
d’accent, est à la fois très drôle, agaçant et très touchant) – et quand on
arrive à la fin du deuxième tome, après être passés par toute une guerre, et toute une palette d’émotions,
on a un choc – une photo.
Pas une de ces photos pleine de barbelés et de corps décharnés, non. Simplement
Vladek Spiegelman, le père d’Artie, à la fin de la guerre, « déguisé »
en prisonnier pour la photo, très beau. Une vraie photo. Et c’est cette photo
toute simple – presque une photo d’identité, qui nous fait prendre conscience que ces souris et
ces chats ont vraiment existé. Existent toujours, sous d’autres aspects.
Du coup, finalement, ça valait le coup de subir des regards
outrés dans le TER Strasbourg-Sarreguemines.
Maus. Un survivant raconte Tome I et II, Art Spiegelman, 1992, chez Flammarion